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Du prototype à l’édition : histoire d’un « jeune » auteur

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Du prototype à l’édition : histoire d’un « jeune » auteur

Ou comment j’ai passé le cap de présenter mon prototype au public.

Voilà, j’ai posé mon vendredi et je monte dans le tramway direction le hall des expositions de Blagnac, le MEETT. Dans mon sac, ma petite boîte fétiche, des sandwichs et c’est tout. On y va un peu en touriste avec mon frère, on ne sait pas trop à quoi s’attendre.

Il est 13h30 et les voitures font déjà la queue au parking. Ai-je eu raison d’y aller ? Et si mon jeu ne plaisait à personne ? Le trac monte doucement.

Devenir auteur de jeu (la genèse) 

Il vous manque un peu de contexte alors laissez moi me présenter. Benjamin TALLIER, 35 ans. Cybersecurity Quality Manager dans un grand groupe aéronautique le jour, auteur de Crime Hunter, un prototype de jeu de société la nuit. J’ai joué comme tout le monde au Monopoly, à La Bonne Paye et au Uno quand j’étais petit, mais j’ai très vite été introduit au Risk, à Richesses du Monde ou même Fief 2 avec mon père et mes frères. Puis les Jeux Vidéos et un peu de Service Compris ou de Warhammer pendant l’adolescence suivis par un grand vide ludique avec les études et le travail. Finalement, les jeux de sociétés sont revenus vers moi en 2015 et je commence à « backer » sur Kickstarter en 2018. Plus je supporte de campagne, plus ma ludothèque s’agrandit pour atteindre presque 250 jeux et extensions. Je m’implique sur des petites campagnes en aidant à traduire certains jeux en français et je crée mon Instagram ludique (@leludothecaireamateur) pour suivre au plus près les nouveautés. Avec le temps, j’essaye de réduire la taille de ma ludothèque et je reste à la recherche de mon nouveau jeu préféré. J’aime tous les types de jeux en général, j’aime jouer.

Quand j’y pense, j’ai toujours aimé les jeux de société et bizarrement, je n’en ai jamais créé un avant aujourd’hui. Je n’en avais jamais eu l’envie, la motivation ou le besoin. Mais à force de jouer, on se dit qu’on peut faire mieux et que si on se crée son propre jeu, forcément il nous plaira. Mais on ne s’improvise pas auteur et créer un jeu ça prend du temps.

Remontons donc quelques années en arrière. Nous voici au cœur de la pandémie, on enchaîne les jeux de société à cause du confinement et plus je joue, plus je me dis que si je faisais mon propre jeu, alors je pourrais faire mon jeu préféré de tous les temps ! Alors je commence à réfléchir, à noter dans un carnet, faire des croquis, puis noter des idées sur Google Keep et commence à faire des design de cartes sur Slides et des tableaux dans Sheets etc. J’y pense la nuit, j’y pense en regardant mes youtubeurs ludiques préférés, j’y pense en écoutant des podcasts etc. Bref, j’y pense tout le temps, je note chaque idée et les classe dans mes prises de notes. Mais il y a le travail qui ne ralentit pas et le prototype repart dans les abysses de mon cerveau.

Comment je me suis lancé

Janvier 2023, je décide de me relancer sur le projet, et je vais faire un prototype digital. Normalement, on dit toujours qu’avec un prototype physique et très basique, on peut voir si ça va marcher et c’est vrai. Mais dès lors que l’on pense à faire de l’itération, des améliorations, du fine tuning, le digital est tellement plus pratique et niveau prix, c’est sans égal. L’avantage est que je peux le partager sur le net et faire des changements assez importants en quelques minutes. Le désavantage : je ne peux pas le tester en conditions réelles autour d’une table de jeux et c’est une contrainte que je dois garder en tête, la manipulation par exemple n’est pas la même, le digital simplifie tout, même l’expérience de jeu !

J’achète Tabletop Simulator  (5€ avec une clé achetée sur Kinguin) sur Steam et je passe 2 week-ends à finaliser toutes les cartes sur Illustrator. Je ne me rappelais pas d’avoir autant avancé le jeu « sur papier » mais tout est presque prêt, je dois seulement formater les cartes pour pouvoir les charger sur le logiciel. En effet les heures passées à prendre des notes, les organiser, tourner mes croquis en design sur Google Slides, gérer les statistiques des cartes sur Google Sheets et tout équilibrer etc m’ont en fait pas mal mâcher le travail. Il ne manquait plus que le coup de reins final, et c’est seulement en me lançant que mon idée est enfin devenue un prototype jouable. 

Je lance Discord et appelle mes 2 frères à me rejoindre pour des playtests. On fait des parties ensemble et ils en font de leurs côtés en solo. Leurs retours sont précieux, je fais plusieurs itérations du jeu, améliorant des détails à chaque partie. On arrive à un jeu qui est plaisant et un de mes frères me demande si je vais essayer de le faire éditer… Je n’y avais pas réellement pensé jusqu’à présent mais pourquoi pas me lancer. Je vais voir le site de l’alchimie du jeu.

Inscription au Concours de Prototype

L’Alchimie du jeu, c’est un des gros festivals francophones. Il se déroule début mai à Toulouse. Le festival accueille toujours des exclusivités, des tables à jouer fournies avec les jeux et les bénévoles pour expliquer les règles, pleins d’auteurs super abordables, une bourse formidable pour vider et remplir sa ludothèque en un seul coup, et aussi un concours de prototypes : Les jeux de demains. En tout, ce sont environ 20 000 visiteurs attendus sur les 3 jours du festival !

Comme le festival est tenu juste à côté de chez moi et que mon frère doit me rendre visite pour l’occasion, je pose ma candidature pour participer au concours de prototypes dans la catégorie Expert quelques heures avant la fermeture des inscriptions et je croise les doigts.

Début Avril, je reçois un mail me confirmant la sélection pour le concours. La course contre la montre est lancée : j’ai un mois pour créer mon jeu ! Tout existe, mais je dois maintenant le rendre physique. Acheter des jetons, imprimer des cartes, les glisser dans des sleeves, customiser des dés, désigner un graphisme original pour la boîte de jeu, découper au laser des jetons aux formes spécifiques etc. 

En 3 week-ends et 80 euros plus tard, j’ai réussi à tout boucler ! Le 1er Mai, tout est prêt : vendredi j’irais au MEET confronter mon jeu au public pour la première fois.

Le prototype : Crime Hunter

Depuis le début je vous parle de mon proto mais je ne l’ai pas encore présenté. Rentrons dans le cœur du sujet. Crime Hunter se déroule dans la Norvège actuelle. Vous jouez le rôle d’officiers d’Interpol envoyés à Oslo pour endiguer ensemble la vague de crime qui submerge la ville. Dans ce jeu « coopétitif », vous perdez tous ensemble mais vous gagnez seul. Vous avez devant vous une carte qui représente la capitale norvégienne et sur laquelle des appels au 112 vont surgir. Vous devez alors vous synchroniser pour aller répondre à ces urgences et les traiter dans le temps imparti. Négociation, arrestation, enquête, plusieurs voies s’offrent à vous pour reprendre le contrôle des événements. Pour vous aider, vous pourrez faire progresser votre personnage, recruter des partenaires et améliorer votre équipement tout au long de la partie.

Voilà de façon rapide ce qu’est Crime Hunter. Niveaux mécaniques, pour les puristes, on y retrouve du jeu de rôle, de la collection d’ensemble, du pick-up & deliver et un système de bag building inversé. C’est un jeu que j’ai pensé sur trois niveaux : Opérationnel, Tactique et Stratégique : 

  • Opérationnel : le joueur joue sa partie et fait évoluer son personnage
  • Tactique : les joueurs jouent la partie ensemble et construisent des bonus collectifs
  • Stratégique : les joueurs jouent cette partie en influant sur les parties à venir. Leurs succès, leurs échecs, leurs choix vont façonner leur expérience.

J’ai aussi pensé le jeu comme un tout, que je peux ensuite découper pour alléger l’expérience de jeu et amener les mécaniques une par une dans une sorte de campagne didactique.

Pour le festival, je n’ai pas le temps de développer la partie stratégique et tactique. Je vais me concentrer uniquement sur la base de Crime Hunter, amenant avec moi seulement 2 modules que je pourrais tester avec des joueurs qui pourraient éventuellement revenir tester le jeu une seconde fois. Finalement, le prototype se joue de 1 à 4 en 60 minutes environ.

Alors la question qu’on m’a beaucoup posée, c’est pourquoi le thème des policiers ? Et pourquoi Oslo ? Alors le thème des policiers pour deux raisons :Et pour Oslo, c’est une ville que j’ai visitée quand je pensais au jeu, et aussi une ville présente dans les livres policiers de Jo Nesbo, un de mes auteurs favoris. Qui n’aime pas un bon thriller nordique ?

  1. C’est un thème rarement abordé dans les jeux de sociétés à part dans les jeux d’enquêtes.
  2. C’est une iconographie facile à trouver pour le prototypage sur le net. J’avais pensé à beaucoup d’autres thèmes dont certains me plaisaient sûrement plus, mais l’accès à l’iconographie fut la contrainte la plus forte pour me conforter dans ce choix.

Et pour Oslo, c’est une ville que j’ai visitée quand je pensais au jeu, et aussi une ville présente dans les livres policiers de Jo Nesbo, un de mes auteurs favoris. Qui n’aime pas un bon thriller nordique ?

Faire tester un proto en festival

Vendredi 13h30 : je prends mon pupitre et je m’installe à une table libre. A peine le temps de terminer la mise en place que déjà des visiteurs affluent dans le hall. Ils vont voir les exclus et les éditeurs en priorité, la bourse aux jeux a elle aussi drainé de nombreux visiteurs. On passe alors aux tables adjacentes à la nôtre, on échange avec les autres “protauteurs”, le tout dans la bienveillance. Il y a pas mal de compétition, de beaux jeux, des concepts originaux et des ovnis ludiques. Les premiers visiteurs s’installent aux tables des jeux de demain. Et doucement mes premiers testeurs arrivent. Je leur explique les règles et ils se lancent dans l’aventure. Après 1 heure environ, la partie est finie et je leur demande des retours. Déjà certains détails ne marchent pas et je me demande comment nous avons fait pour ne pas les voir avant.

Après chaque partie, on donne à nos testeurs un bulletin de vote et on leur explique comment le vote fonctionne. Ils doivent aller tester d’autres jeux pendant tout le week-end, puis voter pour celui qu’ils ont préféré.


À partir de là, les trois jours de festival vont passer très vite. J’accueille à ma table environ 8 groupes de testeurs par jour. Les feedbacks sont vraiment utiles et touchent aussi bien le ressenti, la satisfaction des joueurs que l’ergonomie et les mécaniques du jeu. Autant que le verbal, la communication non verbale en dit aussi très long. Je prends des notes sur chaque point, chaque fait marquant (encore et toujours les notes, en effet j’oublie tout donc je note). Entre chaque partie j’essaye de voir ce que je peux ajuster sans avoir à retravailler le proto. Je change les règles de pointage, je tente une autre façon d’expliquer le concept, j’ajoute du « fluff » pour faire rentrer les joueurs dans l’univers, je teste des variations sur des détails etc. En gros j’expérimente des petites choses et je regarde leur effet. Toujours un seul changement à la fois pour voir son impact et ne pas le perdre dans la masse si jamais je change trop de choses à la fois.

J’ai un groupe de joueurs qui revient pour tester le jeu, ils avaient échoué à un fil lors de la première partie et veulent leur revanche. Alors j’en profite pour sortir mes 2 modules supplémentaires ajoutant des événements et des missions. Cette fois-ci, ils vont rouler sur le jeu. C’est sûrement le groupe qui m’a le plus rendu service avec ses retours.

Et la suite alors ?

Dimanche 18h : je n’ai pas vu le week-end passé, je suis vraiment rincé d’avoir présenté mon jeu non stop pendant tout le festival. Et voici l’annonce des gagnants du concours. Dans ma catégorie, je gagne la place de 2ème ex-aequo avec Crime Hunter. Vu le peu de testeurs que je peux avoir en une journée de par la longueur du jeu, je suis super heureux, car cela veut dire que ceux qui l’ont testé ont voté pour le jeu.

Je rentre chez moi avec ma boîte sous le bras et plein de retours à implémenter. Je me donne 1 semaine de pause sans rien toucher et je m’y remettrai. La suite c’est mettre à jour le prototype digital (en premier lieu), les règles et la présentation du jeu. Rejoindre des bars à jeux ou des associations et lancer un événement sur l’appli du grenier pour faire tester mon jeu. Dans un second temps, contacter les éditeurs et pourquoi pas se représenter à un autre concours.

Cette expérience fut riche de rencontres et d’apprentissages, mais elle n’aurait jamais pu avoir lieu sans les bénévoles du festival Alchimie du Jeu de Toulouse, bravo et merci à eux, et peut-être à l’année prochaine ! Quant à moi, retrouvez-moi sur Instagram pour suivre les aventures de mon jeu Crime Hunter.

1200 600 Benjamin Tallier

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